Une jeune agricultrice produit des pâtes de la semence à l’assiette

7 Mars 2018

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29 août 2017 / Didier Harpagès (Reporterre)
 

 

À Hazebrouck (Nord), Élise Dormion s’est lancée dans l’agriculture biologique. Maraîchère, elle est également céréalière, et raconte avec enthousiasme comment elle produit des pâtes alimentaires de la semence à l’assiette.

  • Dunkerque (Nord), correspondance

Fille d’éleveurs conventionnels de vaches laitières à Hazebrouck (Nord), Élise Dormion souhaitait, à l’issue de ses études, se tourner vers l’agriculture biologique. « Mes parents pressentaient le virage qu’allait devoir amorcer l’agriculture. Mais ils ne se sont pas reconvertis en bio, car l’organisation de leur travail aurait été bouleversée. Pour ma part, il m’apparaissait nécessaire de produire une alimentation plus saine offrant une meilleure qualité nutritionnelle. »

Le bac scientifique en poche, Élise Dormion a obtenu un DUT en génie biologique, option agronomie, puis a intégré Vetagro-Sup, une école d’ingénieurs située à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), au cœur d’une région rurale, plus respectueuse que le Nord, à ses yeux, de la santé des hommes et de la nature. À la suite de plusieurs stages, dont un réalisé dans les hortillonnages d’Amiens, elle a démarré, grâce à l’aide de ses parents — qui lui louent un hectare — le maraîchage bio assorti d’une vente directe sur les différents marchés de la région d’Hazebrouck.

Mais Élise Dormion souhaitait développer une activité complémentaire qui serait moins contraignante. Durant des vacances en Rhône-Alpes, la visite d’une ferme dans laquelle les agriculteurs produisent le blé, le transforment en farine avant de la valoriser sous forme de pâtes alimentaires, lui donne l’idée de créer chez elle, en 2015, une production identique. Entièrement maitrisée, cette production respecterait, de surcroit, le cahier des charges de l’agriculture biologique.

Creuser le sillon des blés anciens 

Élise n’abandonne pas pour autant le maraîchage, qu’elle partage désormais avec Abel, un jeune paysan, l’ensemble de leur production étant écoulé à la ferme en libre-service. Les clients se servent, signalent par écrit leurs achats et déposent dans une urne leur règlement. « Nous n’avons pas voulu installer de distributeur automatique, trop onéreux [environ 20.000 €] et énergivore. Ainsi, c’est plus convivial et les fraudeurs se font rares », remarque-t-elle.

Le libre-service.

Élise Dormion dispose aujourd’hui de sept hectares répartis entre culture de blé (3 ha) de sarrasin (1 ha), de légumes (2 ha) et de luzerne (1 ha), utile comme fertilisant. « Avec les céréales, observe-t-elle, il n’y a qu’un seul semis, une seule moisson et guère plus de deux désherbages. C’est une activité plus longue à démarrer mais moins chronophage que le maraîchage. Je peux mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. »

La première moisson fut réalisée durant l’été 2016. Les trois variétés de semences dites modernes  mais pas hypermodernes ! » précise-t-elle), Renan, Lucullus et Skerzo, achetées 700 € auprès de la coopérative Biocert, ont procuré une récolte honorable de 40 quintaux à l’hectare. En juillet 2017, un rendement de 60 quintaux sera obtenu à partir de semences de blé issues de la récolte précédente. Moins de frais et davantage d’autonomie. « Je suis adhérente de l’Adearn [l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural dans le nord de la France], confie Élise et à ce titre, je m’intéresse aux blés anciens. Il y a là un sillon à creuser bien que les rendements soient plus faibles. J’espère pouvoir y recourir dans les prochaines années. »

Le blé est stocké dans une cellule à grains dotée d’un système de ventilation naturelle. « Elle ne contient que douze tonnes de blé, c’est peu. Mais la ventilation permet d’obtenir rapidement un grain sec qui ne chauffe pas. En revanche, dans l’agriculture conventionnelle, l’importance des volumes stockés exige l’usage de produits additionnels qui n’ont rien de naturel », commente Élise.

Le stockage du blé.

« Spécialités céréalières » et non « pâtes alimentaires » 

Elle est très fière de son moulin dont les deux meules de pierre — une courante, une dormante — sont enfermées dans une belle structure de bois. Acheté en Autriche, il fonctionne comme les anciens moulins. Le grain est déroulé en douceur, sans être chauffé de sorte que tous les nutriments sont préservés. « Dans le système industriel, fait-elle remarquer, le grain est pulvérisé, ainsi la farine est oxydée. Ce n’est pas le cas ici, où tout fonctionne en douceur. » Trois types de farine sont produits deux fois par semaine : la blanche, la semi-complète et la complète. Elles sont vendues aux particuliers dans le libre-service, mais aussi à quelques boulangers locaux.

C’est la semi-complète qui est retenue pour la fabrication des pâtes. Une machine italienne engloutit 24 kg de farine et 7 litres d’eau (pas de sel, pas d’œuf) pour réaliser environ 23 kg de pâtes. Elles se présentent sous quatre formes (« gigli », « coquilles », « radiatori », « crêtes de coq ») et sècheront lentement durant 15 heures à 45 °C. Là encore, la méthode artisanale se distingue du séchage industriel réalisé à haute température. Une dernière petite machine facilite l’ensachage des pâtes, qui seront commercialisées localement grâce aux circuits courts et auprès des particuliers à la ferme.

La machine italienne qui produit 23 kg de pâtes à partir de 24 kg de farine et de 7 litres d’eau.
Le séchage des pâtes.

Élise Dormion souligne le fait que les étiquettes laissent apparaître la mention « spécialités céréalières » et non « pâtes alimentaires ». En effet, la loi du 9 juillet 1999 indique que les pâtes fabriquées en France ne peuvent contenir que du blé dur. Or celui-ci supporte mal le climat du nord de la France. C’est donc du blé tendre qui est cultivé à Hazebrouck. La jeune paysanne ajoute : « Certains disent que la différence entre le blé dur et le blé tendre est le taux de protéine. Cette année, nous avons eu un taux de protéine moyen de 13 %, ce qui est équivalent au taux protéique du blé dur, voire supérieur. S’agit-il ou pas des mêmes protéines ? Mes recherches personnelles ne m’ont pas encore permis de répondre à cette question. »

La machine à ensacher les pâtes.

Le prix de ses « spécialités céréalières » est plus élevé que celui des pâtes mais Élise insiste sur leurs qualités nutritionnelles ainsi que sur la maîtrise complète du processus de production. Elle conclut : « Être présente de la semence à l’assiette et sauvegarder notre santé, n’est-ce pas ce qui importe ? »

Source : Didier Harpagès pour Reporterre

Photos : © Didier Harpagès/Reporterre
. chapô : le moulin d’Élise Dormion.